Pour cet essai de moto en triple exemplaire, je pourrais vous bombarder la fiche technique ou poster une vidéo de quelques minutes. Pour les premières, allez sur le site officiel, vous aurez tout ce qu’il faut pour satisfaire votre soif de petits tableaux. Pour les vidéos, allez sur Youtube, il y en a déjà plusieurs au sujet de ces motos, dont une faite récemment par le stagiaire à vie de High Side, Adrian Parassol. En plus, même si je ne suis pas d’accord avec tous les points qu’il évoque, il parle bien, sa vidéo est assez complète et comme il a plein de cheveux, ça rendra mieux que moi à l’écran. Je vais donc plutôt vous raconter ma journée. Mais avant ça, une (petite) explication s’impose.

Il y a deux mois, Energica m’a contacté pour me proposer de suivre avec eux et pour eux un tour de France électrique qu’ils avaient décidé de mettre en place pour faire un peu connaître leur marque au grand public. Et il y en a besoin car si le constructeur italien est le fournisseur exclusif du championnat du monde de MotoE, les retombées commerciales pour eux dans notre pays sont plutôt faibles, entre zéro et Zero. Suivre le tour complet s’est finalement avéré impossible pour des questions d’agenda mais la marque m’a cependant convié à venir essayer leur gamme entre Bordeaux et Nantes en profitant d’un week-end.

Donc vendredi, direction la Gironde avec Thérèse avant de la stocker pour 48 heures durant lesquelles mes seules montures seront sans vibrations, ni levier ou sélecteur d’embrayage.

Moto électrique Energica Ego et Ribelle RS

On est samedi, le soleil commence à cogner et il est temps de découvrir la gamme 2021 des motos Energica. Si la EsseEsse9 se veut plutôt discrète, même dans son coloris jaune du jour, les Ego et Eva Ribelle sont plus … comment dire ? Moches ? Non, c’est trop subjectif ça. Clivantes ? Sans doute mais après tout, Aprilia a réussi à vendre des Tuono V4 et Yamaha a refourgué des containers entiers de MT-09 2nde ou 3e génération et de MT-10 donc les motards ne pourront pas se prétendre choqués par ces optiques particuliers offrant un look pour le moins singulier. Sur ce point, je ne juge pas, certains esprits chagrins estimant que je n’ai de toute manière aucune légitimité à le faire. Mais à l’heure où il devient difficile d’identifier un modèle en quelques secondes quand on le croise en ville, surtout de face, Energica tire ici son épingle du jeu.

Avant le départ, un rapide briefing pour appréhender les spécificités d’une moto électrique et c’est parti ! Ah non, faux départ, on doit reculer nos motos. Et en ayant choisi la Ego, sportive à la selle haut perchée et au guidon assez bas, j’apprécie immédiatement la présence du mode “manœuvres lentes”. Celui-ci permet de disposer d’une marche avant et d’une marche arrière avec une réponse moteur très douce, jusqu’aux allures respectives de 5 et 3 km/h. C’est idéal pour déplacer la moto dans les situations délicates ou tout simplement quand on ne veut pas se fatiguer. Parce que sous ses atours racés et son gabarit de 600, la ballerine Ego revendique la bagatelle de 270 kg. Oui, rien que ça. Et ce poids (enfin, cette masse si l’on veut être précis) ne sera pas sans conséquence.

En fait, je n’avais jamais accéléré

C’est par la voie rapide que nous quittons la ville et cet exercice va rapidement me mettre sous le nez ce qui restera une évidence durant toute la journée quand je chercherai à savoir si ces Energica sont de “vraies motos”. Elles se révèlent plutôt agiles, elles penchent, elles freinent, il y a donc peu de place pour le doute. Je m’habitue même assez rapidement à l’absence de sélecteur au pied gauche ou de levier à la main du même côté. C’est quand on actionne celle de droite que le problème survient.

En même temps, avec un tel regard, on se doutait qu’elle n’allait pas faire dans la dentelle.

On sait tous que contrairement à un moteur thermique, un moteur électrique peut délivrer son couple maximal instantanément. Mais ça voyez-vous, c’est la théorie. Sur la Ego, en tournant la poignée, tu comprends que toutes les motos que tu as essayées jusqu’ici (et j’ai eu la chance d’en essayer un bon paquet) étaient des jouets. Quand Energica t’annonce 210 Nm de couple, tu te dis « Oui, ça cause mais ça va se gérer. » Je vous rassure, ça se gère. Mais il faut quand même s’y préparer. Parce que là, habitué aux motos thermiques, quand tu visses la poignée dans le coin pour mettre les gaz watts à fond, ce n’est pas Hulk qui vient te botter les fesses. C’est Thanos qui le fait. Et pas une seconde après hein : immédiatement !

Sur le moment, je me dis que j’ai été bluffé par la découverte. Alors, quand l’espace devant moi se dégage, je recommence. Plusieurs fois, parce que je suis un peu lent à la comprenette. Et parce que je n’en reviens pas. Alors je vais dans le menu pour enlever le mode Sport et revenir sur une version plus civilisée. Bigre, je n’étais que sur le mode Urbain de l’engin. Je passe donc sur le mode Sport. Et là…

« Y a un peu plus, je laisse ? »

Ce n’est plus que la moto te catapulte, c’est qu’elle te téléporte. Tu regardes 60 mètres devant toi et tu n’y vas pas, tu y es déjà. Accélération démentielle, énorme, incroyable, furieuse ? Arrive le moment où les mots viennent à manquer. Mais à bien y réfléchir, je pense qu’on peut en garder deux : insane et jubilatoire. Parce que c’est ça en fait l’accélération de cette Ego : un truc contraire au bon sens mais qui apporte une joie intense.
Au-delà de la capacité de cette Energica à s’arracher entre 0 et 100 km/h (perso, je n’arrive pas à faire la différence entre 2,6 et 2,8 s), c’est sa faculté à faire la même chose entre 120 et (trop) qui me sidère. Pour le trop, sachez que la Ego est bridée à 240 km/h pour un usage routier.

Évidemment, c’est une poignée, pas un bouton on/off et on peut donc moduler, en profitant alors d’une douceur peu commune quand il faut par exemple relancer en ville après avoir ralenti à un cédez-le-passage. C’est d’ailleurs un des autres points appréciables puisque en ville, la moto repart avec une douceur peu commune. On se surprend d’ailleurs à rouler de manière plus fluide et surtout plus détendue en ville, débarrassé des vibrations, de l’embrayage et des freins.
Des freins ? Mais kesskidi, il y a bien des freins quand même ? Alors oui, il y a des freins, au demeurant très efficaces et dosables. Mais à part sur route ouverte ou en cas d’urgence, on ne s’en sert pas.

Un frein moteur ? Non, un brin d’appontage.

Réglable sur 3 niveaux voire totalement désactivable, la régénération d’énergie à la décélération agit comme un frein moteur d’une redoutable efficacité. Sur les deux niveaux les plus élevés, quand on coupe complètement les gaz watts, la moto ralentit tellement qu’elle freine suffisamment pour ne plus avoir à toucher au levier ou à la pédale de frein. D’ailleurs, le feu stop clignote pour prévenir ceux qui vous suivent que, si vous n’êtes techniquement pas en train de freiner, vous ralentissez sacrément. C’est perturbant environ 3 minutes et quand on a pris le coup, c’est (encore) un élément reposant pour la conduite en ville.

Sportive++ Même le poids

Bon, cette Energica Ego n’aurait que des qualités ? Pas vraiment et il est temps de parler ce qui m’a un peu chiffonné. Une électrique, ça embarque des batteries. Beaucoup. Et ça se met rapidement à peser un âne mort. On a vu qu’à l’arrêt, Energica a trouvé la parade et nos nombreux demi-tours sur des routes vicinales dans la journée en ont confirmé le bien-fondé. Mais si ce poids se fait oublier à l’accélération, il réapparaît subitement quand on cesse d’accélérer ou qu’on prend les freins en entrée de virage. À ce moment, vous ne pouvez pas aller contre les lois de la physique et il y a environ 80 kg de trop à freiner par rapport aux sportives thermiques récentes. Ajoutez à ça des bracelets qui demanderaient sans doute un peu plus d’ouverture et vous avez le parfait mélange du « le prochain, je l’anticipe un peu plus que ça ! » En soi, ce n’est pas un défaut rédhibitoire mais cette caractéristique de la Ego impose de se donner du temps pour savoir comment en profiter pour rouler vite sur route ouverte. Le simple fait de garder un filet de gaz watts aide d’ailleurs beaucoup. Tout en retirant la régénération pour pouvoir mieux doser ledit filet.

Eva Ribelle, le savant mélange

Si la masse embarquée est impossible à éliminer, le souci s’amoindrit sacrément sur la Eva Ribelle dont le large guidon, placé plus haut, offre un bras de levier suffisant pour inscrire la moto comme on le souhaite sans devoir autant impliquer l’ensemble du corps dans le pilotage. Une Ribelle testée ici en version RS et avec toutes ses options dont les suspensions Öhlins qui sont obligatoires. En effet, la conception des Energica a forcé les ingénieurs à déporter l’amortisseur arrière. Fixé directement sur le bras oscillant, il est dépourvu de biellette. Conséquence ? L’amortissement manque de progressivité et avec les éléments d’origine, il est vraiment sec. Dès qu’on quitte le billard des grands axes, la Ego de l’essai a tendance à tasser les vertèbres. Au bout de 100 kilomètres, je n’ai pas été fâché de la passer à l’un de mes comparses du jour pour sauter sur la Eva Ribelle RS et la plus sage EsseEsse9. Enfin, plus sage par rapport à la Ego, parce qu’elle a de quoi en remontrer à beaucoup de motos thermiques.

Un rapide mot du non-problème du jour : l’autonomie et la recharge. Avec environ 250 km d’autonomie constatée, nous aurions pu nous passer du passage à la borne mais Energica a souhaité jouer la sécurité. Et il n’a fallu que 16 minutes pour passer de 40 à 80 % sur la Ribelle. Largement de quoi finir la journée.

Mais ça, j’y reviendrai plus tard car ce texte s’avère bien long pour ce qui n’était qu’un galop d’essai, le test se poursuivant demain. Je vais donc vous laisser : il est vraiment l’heure de recharger les batteries. Les miennes puisque les motos sont déjà prêtes pour demain.