Tout l’art est de trouver le délicat équilibre entre la passion, qui doit perdurer, et le fait de s’adapter à la réalité pour, justement, que celle-ci ne finisse par pourrir la passion.

« – Bon, viens voir, il faut que je te dise quelque chose.

– Chouette, chouette, on va se promener ?

– Non, pas aujourd’hui. Viens ici et écoute. Tu te rappelles de la balade de vendredi, ces 200 kilomètres avec une majorité de virolos sympas malgré la météo assez moyenne à l’aller ? Cette portion de route, il va falloir que je la fasse tous les jours à partir de cette semaine.

– Super ! Purée, qu’est-ce qu’on va se mettre !

– Justement, ça fait pas mal de bornes pour toi si on doit les faire tous les jours. Ce n’est pas que tu es fragile mais je ne suis pas certain que tu aies vraiment été pensée pour ça. Surtout quand il va pleuvoir ou faire froid. Entre ton moteur au sale caractère parfois un peu trop coupleux et ton freinage de débile profond enthousiaste, je t’avoue que j’ai peur de me faire piéger un de ces quatre. Et d’y laisser une part de plaisir. Allez, viens un peu plus à la lumière. »

« – Mais donc, tu ne vas quand même pas devoir prendre le train ?

– Ah ah, petite comique, tu as oublié que nous habitions dans le Mordor, une région oubliée des planificateurs d’horaires de train et qu’il était plus rapide de prendre les rollers pour faire 100 km que d’utiliser le train quand on veut arriver à l’heure ou ne pas passer 5 heures dans les transports !

– Fichtre, je suis aussi sotte que fluo. Mais je ne comprends pas, comment vas-tu faire ?

– Eh bien …

– …

– Tu vas avoir une petite sœur.

– C’est quoi cette farce ?

–  Ce n’est pas une farce. Si j’avais voulu faire une farce, j’aurais dit du bien des Honda ou d’un MP3 125. Tu ne seras pas plus la seule dans ce garage. Et bon, autant avouer que la petite frangine sera un peu plus volumineuse.

– Mais pourquoi ?

– Pourquoi ? Mais parce que pour s’enquiller 200 km par jour, il va falloir un peu de protection. Et que j’ai beau devoir me mettre debout sur la selle pour voir par dessus ton compteur, je pense qu’un carénage un peu enveloppant ne sera pas de trop. Comme les poignées chauffantes.

– Quelle excuse pourrie. Tu deviens vieux et tout fragile surtout.

– Dis donc, tu veux finir en wheeling dans un clip de Jul toi ?

– Bon ok, pardon, continue.

– Et puis ta chaîne, c’est bien gentil mais franchement, devoir surveiller la tension et le graissage tous les soirs, on se connaît, ça va me gonfler, je ne le ferai pas, tu vas morfler.

– Ça c’est vrai qu’en sagouin, tu te places. Mais bon sang, un carénage, un cardan. Bientôt, tu vas me parler de top-case.

– …

– Oh merde, il a craqué le hobbit, il va transporter sa maison à l’arrière pour dormir sur place. Et le moteur, c’est quoi ?

– Un twin connu pour avaler de la borne sans forcer.

– Je te préviens, si t’as acheté une Deauville, je m’immole en faisant un court-circuit sous la selle !

– Y a des fois, t’es vraiment vulgaire. Non non, un truc moche et large, qui chauffe les pieds en hiver.

– Bon, j’ai pigé, une teutonne quoi. Il fallait bien que ça arrive. Moche mais pratique quoi.

– Voilà.

– Comment elle s’appelle ?

– Thérèse.

– T’as une photo ? J’peux voir ?

– …

– …

– Ah ça pour être moche, elle est moche !

– Thérèse n’est pas moche ; elle n’a pas un physique facile. C’est différent.

– Tu m’étonnes. Tellement différente qu’elle a été abandonnée juste après sa naissance non ? Elle a été démoulée à chaud ? On croirait le croisement entre une RC8, un tupperware et Sinok. On te l’a donnée ?

– Presque en fait.

– Je  commence à être d’accord avec les autres tu sais ; t’as vraiment des goûts de chiotte !

– Dis donc, je te rappelle que ça fait des années que je dis que tu es “différente”.

– … Bon, un point pour toi. Mais je te préviens, les week-ends, c’est elle qui les passera sous la housse. »

C’est ça le pragmatisme. Quand tu en viens à rouler sur tout ce que tu rejetais auparavant parce qu’il faut se rendre à l’évidence. Il y a des moto passions qui sont − par définition − peu raisonnables. Et des motos moches différentes mais qui feront très bien le job ingrat qu’on leur attribue. Mais je sais au fond de moi que, loin des préjugés, elle va compenser par de belles qualités. Et qu’elle me permettra de garder le plaisir d’aller au boulot à moto. Et ça, c’est le principal.
Enfin presque le principal parce qu’il ne faudrait pas penser ça des Honda, MP3, Versys, Ducati, Harley, etc. Faudrait quand même pas exagérer !

La R 1200 ST est clairement le vilain petit canard de la gamme BMW. Mal aimée en France, sans aucun doute à cause de sa tronche à part, elle a aussi souffert d’avoir été cataloguée très rapidement de RT du pauvre puisqu’il s’agit vraiment d’une R 1200 RT débarrassée de son avant très lourd (visuellement comme sur la balance). Et il faut reconnaître que le choix d’un double phare vertical a fini de clouer son cercueil. Un ancien confrère (Joe, si tu me lis…) estime que dès qu’une moto adopte un double phare vertical, elle est aussi moche que morte-née. Personnellement, mis à part la VX-10 dont je ne comprendrais jamais comment elle a pu arriver chez Voxan, je trouve ça plutôt sympa. Notez que si je ne croiserai toujours pas la même moto que la mienne à chaque feu rouge, j’ai cette fois été sobre sur le choix des coloris.